Les pompiers pallient les ambulances privées
Les pompiers pallient les ambulances privées (Est-Républicain du 22 novembre 2016)
Le mot carence désigne des interventions très diverses. Du problème médical qui doit être traité rapidement au rendez-vous pour des examens. C’est bien là que se situe le problème. Tant qu’il s’agit de véritable secours à personne, les carences, même si elles ne relèvent pas des missions du Sdis, s’en rapprochent. Mais lorsqu’il s’agit uniquement de «faire le taxi», les dents grincent dans les casernes.
En théorie, les pompiers interviennent sur la voie publique, le Samu à domicile et dans les lieux privés. En théorie toujours, en cas d’urgence médicale vitale (AVC, crise cardiaque), la victime est prise en charge par l’UMH (Unité mobile hospitalière). Mais la pratique, sur le Territoire de Belfort, est tout autre.
Lorsque le centre de régulation du Samu ne dispose pas d’ambulances privées disponibles, il sollicite les pompiers. Cette carence est prévue par le code des collectivités. Chaque transport est dédommagé par l’ARS (Agence régionale de santé) à hauteur de 118 €. Ce forfait est fixé au niveau national.
En 2009, les pompiers n’effectuaient quasiment pas de carences à Belfort. En 2014, ils en ont assuré 148. Sur l’année 2015, on totalise 251 interventions. Mais depuis 2016, les carences explosent. Jusqu’à mi-octobre, ce chiffre atteignait déjà 735 transports. «Elles ont augmenté de 250 % par rapport à l’année précédente, alors que la hausse se limite à 35 % pour la même période, dans le Doubs et la Haute-Saône», remarque le lieutenant-colonel Stéphane Helleu, directeur du Sdis 90.
Les transports touchent principalement l’agglomération de Belfort, sollicitant les casernes de Belfort-Sud et Belfort-Nord. «Un jour, nous nous sommes retrouvés avec les trois ambulances des deux casernes bloquées sur des carences», confie un pompier. «S’il y avait eu un incendie, il aurait fallu demander à un autre centre de prendre en charge les blessés. C’est un comble !»
Pour le directeur du Sdis, le lieutenant-colonel Helleu, «il n’est pas question que les carences entraînent une dégradation des secours». Sur le terrain, ces transports sanitaires ont néanmoins des répercussions sur l’organisation des secours.
Sans compter l’usure des véhicules, les frais de carburant et le dédommagement des pompiers volontaires, payés à l’intervention. «Les carences ont principalement lieu en journée, lorsque nous avons des difficultés à trouver des volontaires disponibles», ajoute le directeur du Sdis. «Si elles se multiplient, je crains aussi qu’elles n’altèrent leur motivation.» Eh oui, on ne devient pas pompier pour se retrouver chauffeur de taxi !
Comment expliquer l’explosion des carences ? Le transfert de la régulation du Samu 90 à Besançon a un rôle. Le manque d’ambulances privées également. Deux paramètres à ajouter au fait que les pompiers du Territoire ne savent pas dire non.
«Actuellement, le transport sanitaire est traité de la même façon qu’un secours à personne, dans les mêmes délais», assure le colonel. «Les opérateurs ont une minute trente, par téléphone, pour juger de la nécessité d’une intervention. C’est trop court pour déterminer avec précision si le transport est vraiment urgent ou peut attendre un peu.»
«Ce n’est pas un sujet polémique, mais un fait de société qui nous interroge», ajoute le directeur du Sdis. Mais la mise en service de l’hôpital Nord Franche-Comté, à Trévenans, va encore complexifier le problème. Le transport sera plus long et le noeud de circulation de l’échangeur de Sevenans ne facilitera pas la circulation.
«Les Sdis de Franche-Comté sont en discussion avec le centre de régulation du 15 pour comprendre les demandes et faire une réponse qui ne mette pas à mal le service de secours. En Côte d’Or, un terrain d’entente a été trouvé pour éviter de trop solliciter les pompiers.»
«Nous devrons sans doute aussi apprendre à dire non. Ou du moins, oui mais pas tout de suite en fonction de la nature des carences. Ce n’est pas dans nos habitudes, mais il faudra apprendre à s’adapter.»
75.000 €. C’est ce que les carences d’ambulances ont «rapporté» au Sdis 90 en 2016.
N.D.L.R. : Malgré nos sollicitations, nous n’avons pas réussi à obtenir l’avis des représentants des ambulanciers privés.
Isabelle PETITLAURENT